Question de droit

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Litige assuré quand l’ancienne conjointe est désignée bénéficiaire

Février 2010

Au fil des ans, plusieurs articles de Question de droit ont porté sur des causes où un conjoint demeure désigné à titre de bénéficiaire aux termes d’une police d’assurance-vie malgré une séparation ou un divorce.

En fait, cette situation représente une part tellement importante des causes ayant trait à la désignation de bénéficiaire que cela pousse à se demander pourquoi elle ne retient pas davantage l’attention. Il serait peut-être temps qu’elle fasse l’objet de modifications législatives. Entre-temps, nous continuerons de vous résumer ces causes, afin de vous permettre d’informer vos clients que s’ils ne s’occupent pas de cette question, cela pourrait conduire à un litige.

Dans la cause Perry v. Perry (Estate), 2009 ABQB 687 (CanLII), les faits exposés à la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta portaient sur une ancienne conjointe désignée à titre de bénéficiaire aux termes d’une police d’assurance vie collective.

Leah Perry, l’ancienne conjointe d’Ernest Perry, sollicitait une déclaration sur le droit au produit de la police. Lori Perry, la deuxième conjointe d’Ernest, alléguait que le produit de la police devait être payable à la succession d’Ernest et partagé conformément aux lois sur les successions ab intestat de l’Alberta. Ernest n’avait pas de testament. Selon les règles sur les successions ab intestat, la première tranche de 40 000 $ serait revenue à Lori, et le solde aurait été divisé entre les trois enfants d’Ernest.

L’argumentation de Leah était assez simple. Ernest n’avait ni modifié ni révoqué la désignation de bénéficiaire aux termes de la police collective par déclaration comme l’exigeait l’Alberta Insurance Act (la loi sur les assurances de l’Alberta). Leah demeurait donc la bénéficiaire, malgré le divorce. Dans les provinces de common law, une séparation ou un divorce ne révoque pas une désignation de bénéficiaire. Au Québec, par contre, en vertu du Code civil, le divorce rend caduque toute désignation du conjoint à titre de bénéficiaire ou de titulaire subrogé.

Lori, de son côté, alléguait que, avant son décès, Ernest avait présenté une demande au tribunal en vue de mettre fin à la pension alimentaire de Leah et à l’assurance-vie garantissant cette obligation. Elle faisait valoir que l’intention d’Ernest n’était pas d’avantager Leah. En outre, Lori invoquait les dispositions de l’entente de séparation empêchant Leah de réclamer le produit.

Le tribunal a reconnu que la loi et la jurisprudence avaient permis que des désignations de bénéficiaire soient modifiées par rectification de la police et imposition d’une fiducie pour la détention du produit de la police.

Le tribunal a pris en considération les dispositions relatives à la déclaration de la loi sur les assurances de l’Alberta ainsi que les arrêts clés Vodden v. Vodden, 3 C.C.L.I. 252., Hall Estate v. Hall, (1985), 59 A.R. 272 (C.A.), et Gaudio Estate v. Gaudio, 16 R.F.L. (6th) 72 (C.S. Ont.), à titre indicatif.

Dans ces arrêts, le tribunal a conclu que la révocation ne pouvait être effectuée que conformément aux dispositions visant la révocation d’une déclaration de désignation de bénéficiaire aux termes de la loi sur les assurances. Une libération stipulée dans une entente de séparation se rapporte à la renonciation à un droit ou à un intérêt relatif à la succession, mais n’entraîne pas la révocation de la désignation de bénéficiaire aux termes de la loi sur les assurances. Tel est le cas même si l’ancien conjoint finira par tirer un avantage en recevant le paiement du produit.

Le tribunal a également tenu compte de la décision de l’Ontario dans l’affaire Richardson Estate v. Mew, [2008] O.J. No. 4892, 64 R.F.L. (6th) 97 (C.S.J.), où le tribunal indiquait qu’une désignation de bénéficiaire dans une police d’assurance vie était « normalement inattaquable ». (Voir le numéro de Question de droit du 28 mai 2009, intitulé « La désignation de bénéficiaire reste inattaquable ».)

Le tribunal a examiné si la demande d’Ernest visant à mettre fin à la pension alimentaire et à la police garantissant l’obligation alimentaire était pertinente. Les affidavits à l’appui de la demande ont été présentés, mais le tribunal a finalement déterminé que cela ne constituait pas une « déclaration » aux termes de la loi sur les assurances.

Enfin, le tribunal s’est demandé si des circonstances exceptionnelles exigeaient la rectification de la police. Il a conclu que cinq années s’étaient écoulées depuis 2003, moment où Ernest avait manifesté son intention de mettre fin à l’obligation alimentaire et à l’assurance vie, jusqu’à 2008, moment où il est décédé. Ernest n’avait pris aucune mesure pour modifier la désignation de bénéficiaire révocable pendant cette période. Par conséquent, selon le tribunal, aucune preuve n’appuyait la prémisse qu’Ernest avait commis une « erreur d’écriture » en ne modifiant pas la désignation. La police ne pouvait donc pas être rectifiée de façon à modifier la désignation.

Après avoir lu cette cause, vous vous demandez peut-être pourquoi les clients négligent cette question. Ils sont très probablement épuisés par la procédure de divorce et peuvent, en fait, penser que toutes les questions ont été réglées dans une entente de séparation ou l’ordonnance d’un tribunal. Il se peut, en fait, que les avocats n’étudient pas cette question assez minutieusement avec leurs clients.

Il y a certainement lieu pour les conseillers financiers de discuter de cette question avec les clients et, le cas échéant, avec les conseillers juridiques afin que les clients soient au moins au courant de la question.

Service Fiscalité, Retraite et Planification Successorale de la Financière Manuvie rédige régulièrement divers articles. Cette équipe, composée de comptables, de conseillers juridiques et de professionnels de l’assurance, fournit des renseignements spécialisés sur des questions touchant le droit, la comptabilité et l’assurance vie, ainsi que des solutions à des problèmes complexes de planification fiscale et successorale.

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