Déductibilité des intérêts
Dernière mise à jour : décembre 2019
Introduction
La question de la déductibilité des intérêts se pose dans bien des cas, tant pour les particuliers que pour les sociétés. Notamment, elle se pose souvent lorsqu'un emprunt est contracté et qu'un contrat d'assurance vie est donné en garantie de l'emprunt. L’utilisation des fonds empruntés détermine si les intérêts sont déductibles.
Les règles sur la déductibilité des frais d’intérêts du revenu paraissent simples. Cependant, la jurisprudence, plusieurs avant-projets de loi publiés et diverses interprétations données par l’Agence du revenu du Canada (« ARC ») ont soulevé l’incertitude quant à l’interprétation de ces règles. Le présent bulletin Actualité fiscale traite de la réglementation actuelle régissant la déductibilité des intérêts, du point de vue de l’ARC exprimé dans le folio de l’impôt sur le revenu S3-F6-C1 intitulé « Déductibilité des intérêts », d’un récent jugement qui a fait jurisprudence, ainsi que des modifications proposées à la loi. À noter que le folio S3-F6-C1 a remplacé et annulé les bulletins d’interprétation sur la déductibilité des intérêts publiés antérieurement par l’ARC dont le bulletin IT-533 intitulé « Déductibilité de l’intérêt et questions connexes », ainsi que toutes autres positions exprimées par l’ARC avant le 31 octobre 2003. De plus, ce folio ne prend pas en compte les modifications proposées à la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi »), qui incluent les Propositions provisoires concernant la déductibilité des intérêts et d’autres dépenses, rendues publiques le 31 octobre 2003 et qui seront abordées sommairement à la section « Questions techniques ». Ce numéro traite également des stratégies de planification fiscale reliées aux contrats d'assurance.
Règles générales
Les tribunaux ont toujours estimé que les frais d’intérêts et de financement ne sont pas déductibles, car ils constituent une dépense en capital. En conséquence, ces coûts ne sont déductibles que s'ils remplissent les conditions de l'alinéa 20(1)c) et des dispositions connexes de la Loi.
Intérêts simples
Aux termes de l'alinéa 20(1)c), les intérêts sont déductibles s'ils sont payés ou payables pour l'année (selon la méthode habituellement utilisée par le contribuable) en exécution d'une obligation légale. L'argent emprunté doit servir à tirer un revenu d'une entreprise ou d'un bien ou servir à acquérir un bien dans le but d’en tirer un revenu ou de tirer un revenu d'une entreprise. Les intérêts sur l'argent emprunté utilisé pour gagner un revenu exonéré ou pour souscrire un contrat d'assurance vie (y compris un contrat de rente) ne sont pas déductibles. Cependant, le sous-alinéa 20(1)c)(iv) de la Loi permet la déduction des intérêts sur l’argent emprunté utilisé pour acquérir un intérêt dans un contrat de rente non prescrit jusqu’à concurrence de la portion imposable de la rente qui est incluse dans le calcul du revenu conformément à l’article12.2 de la Loi. (Pour connaître le point de vue de l’ARC sur le sujet, se reporter au Bulletin d’interprétation IT-355R2, Intérêts sur les prêts contractés pour acquérir des polices d'assurance-vie et des contrats de rentes, et intérêts sur les avances sur police d'assurance annulé le 30 septembre 2012.)
De plus, les intérêts sur l'argent emprunté ne sont déductibles que dans la mesure où ils sont raisonnables dans les circonstances. Pour déterminer si un taux d'intérêt est raisonnable ou non, il faut le comparer aux taux en vigueur sur le marché pour des dettes prévoyant des modalités et des risques semblables. Par ailleurs, comme il était indiqué dans l'affaire Shell Canada Ltée c. Canada, [1999] 3 R.C.S. 622 : « Lorsqu'un taux d'intérêt est fixé sur un marché de prêteurs et d'emprunteurs sans lien de dépendance, il s'agit généralement d'un taux raisonnable [...] ».
Le contribuable qui utilise la comptabilité de caisse peut déduire les intérêts pour l'année où ils sont payés, tandis que celui qui recourt à la comptabilité d'exercice peut les déduire pour l'année où ils sont payables.
Intérêts composés
Il est important de faire une distinction entre l’intérêt composé et l’intérêt simple. L’intérêt composé n’est pas un « intérêt imputé sur les sommes empruntées » et il ne provient pas des sommes empruntées qui sont utilisées dans le but de produire un revenu. L’intérêt composé provient plutôt des intérêts impayés. Voilà pourquoi la Loi comporte une disposition distincte – l'alinéa 20(1)d) – qui autorise la déduction des intérêts composés. Aux termes de cette disposition, il est permis de déduire l'intérêt composé si celui-ci est payé dans l'année et si l'intérêt simple y afférent est déductible. Il est à souligner que contrairement à l'intérêt simple, qui est déductible quand il est payé ou payable (c.-à‑d. accumulé), l'intérêt composé n'est déductible que lorsqu'il est effectivement payé. Il n’est pas déductible dans l'année où il est généré s'il est simplement ajouté au solde non remboursé du prêt (c.-à-d. capitalisé). Dans le contexte des stratégies d’assurance vie donnée en garantie d’un emprunt (avec effet de levier), lorsque l'intérêt est capitalisé, l'intérêt sur l'intérêt (c.-à-d. l'intérêt composé) n’est déductible qu’une fois payé. Comme un grand nombre de ces prêts sont voués à demeurer impayés jusqu'au décès de l'assuré, l'intérêt composé qui en découle ne sera payé, et par conséquent déductible, qu'au moment du décès.
Bien que l’alinéa 20(1)c) permette de déduire les intérêts sur de l’argent emprunté en vue de tirer un revenu d’une entreprise ou d’un bien, prenons le cas d’un contribuable dont l’emprunt répond au critère du but visé de l’alinéa 20(1)c) de la Loi et qui contracte un second emprunt en vue de payer les intérêts sur le premier emprunt. L’intérêt sur le second emprunt est-il déductible? Cet intérêt pourrait être considéré comme étant un intérêt composé qui ne sera déductible que lorsqu’il aura été payé. Toutefois, le second emprunt pourrait être considéré comme étant fait simplement pour payer l’intérêt du premier emprunt, et non pour tirer un revenu. Le second emprunt ne satisferait donc pas aux conditions de l'alinéa 20(1)c) puisque les sommes empruntées ne servent pas à produire un revenu. Selon le paragraphe 20(3) de la Loi, lorsque l’argent emprunté sert à rembourser le premier emprunt, le principal du second emprunt est réputé avoir été emprunté dans le même but que le premier emprunt. Cependant, rien dans la Loi ne laisse entendre que les intérêts sur le second emprunt ont été payés dans le même but que les intérêts sur le premier emprunt.
Comme le confirme l’ARC dans plusieurs interprétations techniques (nos 2009-0331651E5, 2005‑0116661C6 et 2004-0070341E5), elle a toujours eu comme position administrative d’accepter la déductibilité des intérêts payés sur le second emprunt. L’ARC a indiqué que les intérêts payés ou payables durant l'année au titre du second emprunt, selon la méthode normalement utilisée par le contribuable pour calculer son revenu, sont déductibles conformément à l'alinéa 20(1)c) de la Loi si les intérêts sur le premier emprunt sont déductibles en vertu de ce même alinéa. Autrement dit, lorsqu'un contribuable obtient un prêt pour payer les intérêts d'un prêt antérieur, les intérêts du second prêt sont déductibles. Si les intérêts s’accumulent, ces intérêts seront considérés comme un intérêt composé et ne seront déductibles en vertu de l’alinéa 20(1)d) que lorsqu’ils auront été effectivement payés.
Dans l’interprétation technique no 2006-0188621E5 datée du 23 mai 2006, l’ARC présentait trois situations précises où le contribuable obtenait un second prêt. Dans chacune des situations suivantes, elle examinait la possibilité que les intérêts soient déductibles :
- Les intérêts sur une marge de crédit sont payables annuellement à la fin de chaque année. À la fin de chaque année, le contribuable contracte une nouvelle avance sur la marge de crédit pour payer les intérêts échus de l’emprunt conformément à la convention de marge de crédit.
- Conformément à cette convention, les intérêts sur la marge de crédit s'ajoutent au solde de l'emprunt (c.-à-d. se capitalisent) chaque année.
- Plutôt qu’une seule marge de crédit, l’emprunt comporte deux comptes distincts. Chaque année, le contribuable contracte une avance sur le compte A et fait débiter le compte B des intérêts sur cette avance. Puis il contracte une nouvelle avance sur le compte A pour payer les intérêts dont le compte B a été débité.
Malgré sa position de longue date d’accepter la déductibilité des intérêts du second emprunt, l’ARC a précisé dans son interprétation technique que ces opérations n’étaient pas semblables aux opérations prises en compte dans des documents antérieurs. Elle a ajouté que si une série d'opérations est effectuée dans le seul but de bénéficier d'une déduction d'intérêts, la règle générale anti-évitement (« RGAÉ ») est susceptible de s'appliquer. En fait, on ne sait pas encore très bien si les intérêts sur un emprunt contracté pour rembourser des intérêts sont déductibles ou non.
Emprunts de remplacement
Lorsque le contribuable affecte les fonds empruntés au remboursement d'un emprunt antérieur, le nouvel emprunt est réputé, au titre du paragraphe 20(3) de la Loi, servir aux mêmes fins que l'emprunt initial. En conséquence, si les intérêts sur le prêt initial étaient déductibles, les intérêts du nouveau prêt le seraient également.
Perte d'une source de revenus
Avant 1994, les intérêts cessaient d'être déductibles lorsque les sommes étaient empruntées pour tirer un revenu d'une entreprise ou pour financer l'acquisition d'un bien, et lorsque l'entreprise était dissoute, que le bien était cédé ou que l’entreprise ou le bien devenaient sans valeur, mais que la dette demeurait impayée. Le législateur avait ajouté le paragraphe 20.1(1) à la Loi afin d’assurer que les intérêts sur des fonds empruntés continuent d'être déductibles même une fois disparue la source de revenus. Ce paragraphe prévoit qu'après 1993, lorsque l'argent emprunté cesse de servir à tirer un revenu d'un bien en immobilisation, autre qu'un bien immeuble ou un bien amortissable, le contribuable est quand même réputé continuer d'utiliser une partie de l'emprunt impayé pour tirer un revenu du bien en question. Une règle semblable, soit le paragraphe 20.1(2), s'applique si l'argent emprunté sert à tirer un revenu d'une entreprise lorsque le contribuable cesse de l'exploiter.
Par exemple, prenons le cas d’un contribuable qui achète des actions d'une entreprise pour 15 000 $, dont 12 000 $ proviennent d’un emprunt et 3 000 $ de fonds personnels. Plus tard, il vend les actions à leur juste valeur marchande de 9 600 $ (soit le « produit » dont il est question plus loin); il est réputé que 4 320 $ de l'emprunt initial continuent d'être utilisés pour tirer un revenu d'un bien, et les intérêts y afférents seraient alors déductibles. On obtient le montant de 4 320 $ en déterminant la partie de l'emprunt initial considérée comme ayant été récupérée lors de la vente, puis en soustrayant ce montant de l'emprunt initial. Le montant emprunté récupéré sur la vente est de 7 680 $ [80 % (12 000/15 000) du produit, soit 9 600 $]. Quant à la différence de 4 320 $ (12 000 $ - 7 680 $), le contribuable est réputé continuer de l'utiliser pour tirer un revenu d'un bien. Selon l'affectation ultérieure du produit de la vente, il se pourrait que les intérêts sur les 7 680 $ continuent d'être déductibles.
À noter que si les 9 600 $ servent à rembourser une partie de l'emprunt, le « montant réputé » sera diminué, passant de 4 320 $ à 2 400 $, car il ne peut dépasser le montant qui demeure impayé sur la dette initiale. Il pourra donc être plus avantageux sur le plan fiscal de laisser l'emprunt impayé et d'affecter le produit de la vente au remboursement d'une autre dette non déductible.
Questions techniques
Critère du but visé qui est de tirer un revenu
Pour que les intérêts soient déductibles, l’alinéa 20(1)c)(i) de la Loi exige que l’argent emprunté soit utilisé pour acquérir un bien « en vue de tirer un revenu d'une entreprise ou d'un bien ». Le « revenu » comprend des éléments comme les intérêts, les rentes, les redevances, le revenu tiré d’une entreprise ou les gains réalisés au titre d’opérations. Le revenu n’inclut pas les gains en capital. Par exemple, les fonds empruntés à des fins de placement dans des fonds communs qui ne génèrent que des gains en capital ne produiront pas de « revenu »; les intérêts sur ces fonds ne sont donc pas déductibles.
Dans le passé, l’ARC a tenté d’appliquer une restriction supplémentaire en interprétant le revenu comme un « revenu net ». En 2001, la Cour suprême du Canada (« CSC ») rejetait cette interprétation dans la décision rendue dans l’arrêt Entreprises Ludco Ltée c. Canada [2001] 2 R.C.S. 1082 (« Ludco »).
Dans l’arrêt Ludco, la société et des contribuables avaient emprunté des sommes importantes pour financer l’acquisition d’actions de sociétés extraterritoriales. Les contribuables avaient eu environ six (6) millions de dollars de frais d’intérêts à payer et avaient obtenu un revenu de dividendes d’environ 600 000 $, puis, plus tard, ils avaient réalisé un gain important sur la vente de ces actions (environ 9,2 millions de dollars). La Cour d’appel fédérale (« CAF ») a refusé la déduction des frais d’intérêts de 6 millions de dollars, car selon elle, le but visé de l’emprunt était la réalisation non pas du revenu de dividendes, mais du gain en capital. Par la suite, la CSC a infirmé cette décision et conclu qu’une fin accessoire poursuivie pour tirer un revenu brut est susceptible de remplir les conditions de la déductibilité des intérêts. De plus, la CSC a confirmé qu’aux fins de la déductibilité des intérêts, « le terme « revenu » s’entend non pas du revenu net mais du revenu assujetti à l’impôt ».
L’ARC a accepté l’interprétation des tribunaux à cet égard et repris aux paragraphes 1.26 et 1.27 du folio S3-F6-C1 les commentaires faits par la CSC dans l’arrêt Ludco :
« En l'absence d'un trompe-l’œil, d'un artifice ou d'autres circonstances viciant l'opération, une fin accessoire poursuivie par le contribuable en effectuant l'investissement peut néanmoins constituer une fin réelle ou véritable, tout aussi susceptible de satisfaire la condition de déductibilité de l'intérêt que toute autre fin principale plus importante ».
et
« […] le sens ordinaire de cette disposition (sous-alinéa 20(1)c)(i)) n'appuie pas l'interprétation selon laquelle « revenu » équivaut à « profit » ou à « revenu net »... En l'absence d'un trompe-l’œil, d'un artifice ou d'autres circonstances viciant l'opération, les tribunaux ne devraient donc pas se demander si le revenu escompté ou touché a un caractère suffisant ».
Au paragraphe 1.69 du même folio, l’ARC poursuit en indiquant que lorsqu'un placement est porteur d'intérêts ou de dividendes, le critère du but visé est généralement respecté (en l'absence d'un trompe-l’œil, d'un artifice ou d'autres circonstances viciant l'opération). En conséquence, l’ARC spécifie que lorsque le taux d’intérêt ou de dividende stipulé est inférieur au taux d’intérêt sur la dette, en supposant que tous les autres critères sont respectés, l'intérêt n'est pas refusé en totalité ni restreint en fonction du revenu découlant du placement.
Pour ce qui est d’un emprunt en vue d’un placement, telles des actions ordinaires où aucun taux de dividende ou d’intérêt n’est précisé, il est plus difficile de déterminer s’il y avait, au moment du placement, une attente raisonnable de tirer un revenu. Au paragraphe 1.70 du folio S3-F6-C1, il est indique que, normalement, l'ARC estime que les intérêts se rapportant à un emprunt contracté pour acheter des actions ordinaires sont déductibles s'il y a une attente raisonnable, au moment de l'acquisition des actions, que le détenteur des actions ordinaires recevra des dividendes. Malgré tout, chaque situation doit être traitée selon les faits particuliers en cause.
Bien que l’ARC administre la Loi tel qu’il est indiqué précédemment, il est à noter que le 31 octobre 2003, le ministère des Finances a rendu public un avant-projet de loi qui, s’il avait été adopté, aurait restreint de façon importante la possibilité de déduire les intérêts dans les situations décrites précédemment. .
Les modifications envisagées proposaient l’ajout d’un nouvel article à la Loi (article 3.1) qui prévoyait le concept suivant : une perte résultant d’une entreprise ou d’un bien ne serait déductible, pour une année donnée, que s’il est raisonnable de présumer que le contribuable tirerait un bénéfice cumulatif de l’entreprise ou du bien visé pour la période au cours de laquelle il l’aurait exploité ou détenu, ou pour laquelle il est raisonnable de s’attendre à ce qu’il l’exploiterait ou le détiendrait. Le paragraphe 9(3) de la Loi devait être modifié pour que les gains en capital et pertes en capital soient spécifiquement exclus du calcul du bénéfice en application du paragraphe proposé 3.1(2) de la Loi. À la conférence annuelle de la Fondation canadienne de fiscalité de 2014, le ministère des Finances a officiellement retiré ces propositions.
Utilisation de l’argent emprunté
Le sous-alinéa 20(1)c)(i) de la Loi exige que l’argent emprunté soit utilisé en vue de tirer un revenu d’une entreprise ou d’un bien pour que le contribuable obtienne la déduction des intérêts. Par conséquent, pour demander une déduction, le contribuable doit être en mesure de prouver que l’argent emprunté a été affecté à une utilisation admissible. L’ARC précise que lorsque vient le temps de déterminer l'utilisation de l'argent emprunté, « il incombe aux contribuables d'établir un lien entre l'argent emprunté et une utilisation admissible en particulier en tenant compte des rapports juridiques ». Cela signifie que le contribuable doit disposer d’un document écrit qui prouve que l’argent emprunté a été affecté à une utilisation admissible.
En 2001, la CSC a rendu un jugement dans une affaire portant sur cette question (Singleton c. Canada, [2001] 2 R.C.S. 1046) (« Singleton »). Cette affaire avait trait à un avocat qui avait utilisé sa part de 300 000 $ dans le cabinet d’avocats dont il faisait partie pour acheter une maison. Le contribuable avait refinancé sa participation dans le cabinet au moyen d’un emprunt et, conformément au sous-alinéa 20(1)c)(i) de la Loi, il avait déduit les intérêts sur les fonds empruntés, affirmant que l'argent emprunté constituait maintenant son apport en capital dans le cabinet d'avocats. Après une réévaluation, l’ARC a refusé cette déduction en arguant que la somme empruntée avait été utilisée pour financer l’achat de la maison et non sa participation dans le cabinet d’avocats. La Cour canadienne de l’impôt (« CCI ») a rejeté l’appel du contribuable, mais la Cour d’appel fédérale (« CAF ») l’a accueilli. Par la suite, la CSC a confirmé la décision de la CAF. L’argument rejeté par la CSC était celui de la « réalité économique » entourant les opérations du contribuable et le fait que cette réalité devait être prise en considération pour déterminer si « l’utilisation » était conforme aux exigences de l’alinéa 20(1)c). En rejetant le test de la réalité économique, la CSC a invoqué la décision qu’elle avait rendue dans l’arrêt Shell Canada (99 DTC 5669) où elle avait soutenu qu’en l’absence de simulacre ou d’une disposition de la Loi à effet contraire, les réalités économiques d’une opération ne peuvent pas justifier une nouvelle qualification des rapports juridiques véritables établis par le contribuable. Dans l’arrêt Singleton, un lien direct pouvait être établi entre l'argent emprunté et une utilisation admissible.
D’après cette décision, il semble qu’un contribuable peut emprunter des sommes sur ses placements après impôt pour racheter les mêmes placements sans compromettre la déductibilité des frais d’intérêts. L’ARC avait alors indiqué qu’elle était d’accord avec cette décision et qu’elle en tiendrait compte dans l’évaluation des contribuables à l’avenir. Bien que la CSC ait donné raison au contribuable dans l'affaire Singleton et confirmé la légalité des opérations effectuées, on n'avait pas envisagé l'application de la RGAÉ dans cette affaire. Pour savoir comment la RGAÉ pourrait s’appliquer, reportez-vous à la section intitulée « Déductibilité des intérêts et règle générale anti-évitement (RGAÉ) » à la suite.
Prenons l’exemple suivant dans le contexte d’une assurance vie donnée en garantie d’un emprunt. Un contribuable a l’intention de souscrire un contrat d’assurance vie et d’en affecter la valeur de rachat à la garantie d’un emprunt pour des dépenses personnelles. Il désire pouvoir déduire de son revenu imposable les intérêts sur cet emprunt. Si le contribuable utilise simplement le produit de l’emprunt (obtenu par l’affectation de la valeur de rachat du contrat à la garantie de l’emprunt) pour payer des dépenses personnelles, les intérêts ne sont pas déductibles; le montant de l’emprunt reçu de la banque étant affecté au paiement des dépenses personnelles, il ne s’agit pas d’une utilisation admissible. Si, au lieu de cela, le contribuable vendait des placements en vue de couvrir ses besoins de liquidités personnels, puis rachetait ensuite ces placements au moyen de l’argent emprunté, les intérêts sur l’emprunt pourraient être déductibles puisque l’argent emprunté aurait servi à acquérir un bien productif de revenus. Même si la série d’opérations ne présente aucun problème, il doit y avoir vente et achat du bien. Ces opérations ne peuvent pas simplement faire l’objet d’écritures dans un registre. Compte tenu du type de bien, des gains ou pertes en capital accumulés ou un revenu peuvent être générés. Si la disposition donne lieu à des pertes en capital, une perte apparente peut être générée si le contribuable ou une personne affiliée acquiert ou possède le même bien ou un bien identique ou un droit d’acquérir le bien (« bien de remplacement ») au cours de la période qui commence 30 jours avant la disposition et se termine 30 jours après cette disposition. Le terme « personne affiliée » inclut, notamment, l’époux ou conjoint de fait du particulier. La perte apparente est refusée et ajoutée au prix de base du bien de remplacement de façon à ce que la perte augmente ou le gain diminue lors d’une disposition future.
L’ARC a confirmé que lorsqu’un contribuable restructure des emprunts et la propriété des biens, le critère d’utilisation directe est respecté (paragraphe 1.33 du folio S3-F6-C1). Examinons le cas d’un contribuable qui a effectué un emprunt en vue de souscrire un contrat d’assurance vie et qui détient également des biens de placement. Comme l’argent emprunté a été affecté directement à la souscription d’un contrat d’assurance vie, les intérêts sur l’emprunt ne sont pas déductibles. Cependant, le contribuable pourrait vendre ses biens de placement, affecter une partie ou la totalité du produit de la vente au remboursement de l’emprunt et, par la suite, obtenir un emprunt additionnel pour racheter ses biens de placement. Dans ce cas, l’argent emprunté est affecté directement à l’acquisition de biens de placement et, pourvu que toutes les autres conditions relatives à la déductibilité des intérêts soient respectées, les intérêts devraient être déductibles.
La « mise à part de l’argent », autre méthode acceptée par l’ARC, permet aux contribuables d'établir l'utilisation précise de l'argent emprunté (paragraphe 1.34 du folio S3-F6-C1). La mise à part de l’argent emprunté établit une distinction (généralement avec des comptes distincts) entre les fonds empruntés et les fonds provenant d'autres sources, telles les opérations d’entreprise.
Les fonds provenant d’autres sources sont alors affectés à des fins non admissibles, comme l’acquisition d’un contrat d’assurance vie. Les fonds empruntés sont utilisés à des fins admissibles, comme l’acquisition de biens de placement ou un placement dans l’entreprise. L’ARC a également indiqué (paragraphe 1.42 du folio S3-F6-C1) que, même si l'argent emprunté est déposé dans un compte et amalgamé avec d'autre argent […], les contribuables peuvent adopter une approche flexible pour établir un lien entre l'argent emprunté et son utilisation actuelle. Dans ce cas, le contribuable peut choisir l’utilisation de l’argent emprunté parmi toutes les utilisations de l’argent pour établir le « lien » (pourvu que les fonds empruntés se trouvent dans le compte avant ou le même jour que celui de l’utilisation des fonds et que le montant utilisé soit égal ou supérieur au montant emprunté).
Exceptions à l’utilisation directe de l’argent emprunté
Même si, en général, on exige qu’un lien soit établi entre les fonds empruntés et une utilisation admissible de ces fonds, les tribunaux ont accepté dans certaines circonstances exceptionnelles l’utilisation indirecte au lieu de l’utilisation directe des fonds empruntés. Se reporter, par exemple, aux affaires Trans-Prairie Pipelines c. MNR, 70 DTC 6357 (Ex. Ct.), La Reine c. Bronfman Trust, [1987] 1 R.C.S. 32 et La Reine c. Banque Chase Manhattan du Canada, 2000 DTC 6018 (CAF). En conséquence, l’ARC permet, dans certains cas, la déductibilité des intérêts du point de vue administratif même si l’utilisation directe des fonds empruntés n’est pas admissible. Les exceptions en ce qui a trait au critère d’utilisation directe énumérées dans le folio S3-F6-C1 sont les suivantes :
- Emprunt en vue d’effectuer une distribution
L’argent emprunté peut servir à racheter des actions, à payer des dividendes à un actionnaire ou à rembourser le capital à un actionnaire ou à un associé. Bien que l’utilisation directe de ces fonds vise à effectuer une distribution, l’ARC accepte que l’argent emprunté soit utilisé pour « combler le vide » créé par le retrait du capital (paragraphe 1.45 du folio S3-F6-C1). Ainsi, elle accepte le critère du but visé à condition que le capital à distribuer ne dépasse pas le capital de la société et que le capital, avant sa distribution, ait été utilisé à des fins qui, si le capital avait été emprunté, auraient été admissibles en vue de la déductibilité des intérêts. Le « capital » à cette fin comprend généralement l’apport de capital et les bénéfices accumulés. Au paragraphe 1.50 du folio S3-F6-C1, il est indiqué : « Les bénéfices accumulés sont généralement les bénéfices non répartis de la société, calculés sur une base non consolidée, alors que les placements sont enregistrés au coût. » Ces observations s’appliquent de la même façon à une société de personnes; dans ce cas, le capital correspondrait généralement au solde du compte en capital de l’associé (paragraphe 1.53 du folio S3-F6-C1).
- Emprunt en vue de consentir des prêts sans intérêt et d’effectuer un apport de capital
En général, les intérêts sur l’argent emprunté pour consentir un prêt sans intérêt à une société ne seront pas déductibles étant donné que l’argent emprunté est utilisé directement pour acquérir un bien qui ne peut pas générer de revenus. Cependant, l’ARC serait disposée à permettre la déduction des intérêts si l’argent est emprunté « […] pour consentir un prêt sans intérêt à une filiale à cent pour cent (ou, dans le cas de nombreux actionnaires, lorsque les actionnaires consentent un prêt sans intérêt en fonction du nombre d'actions détenues) et que le produit a une incidence sur la capacité de la société de gagner un revenu », augmentant ainsi les dividendes pouvant être versés. Cela s’applique également aux intérêts sur l’argent emprunté par un actionnaire ou un associé pour effectuer un apport de capital dans une société de capitaux ou de personnes, respectivement.
- En général, l’ARC permet la déduction des intérêts si l’argent emprunté est utilisé pour consentir un prêt sans intérêt à des employés en tant qu’employés. La valeur de tels prêts peut être considérée comme une forme de rémunération pour les services rendus par ces employés. « Toutefois, les intérêts sur l'argent emprunté pour consentir des prêts sans intérêt à des particuliers en leur qualité d’actionnaires ne sont habituellement pas déductibles » (paragraphe 1.58 du folio S3-F6-C1).
Intérêts sur une avance sur contrat
Une avance sur contrat effectuée après le 31 mars 1978 est considérée comme une disposition en ce qui a trait à l’intérêt dans un contrat d’assurance vie. En conséquence, tout gain réalisé au titre de l’avance sur contrat s’ajoute au coût de base rajusté (« CBR ») du contrat alors que le produit de disposition provenant de l’avance sur contrat est soustrait du CBR du contrat.
Si le titulaire utilise une avance sur contrat pour acquérir un placement et, suite à ce placement, il tire un revenu d’une entreprise ou d’un bien (c.-à-d. si cette avance répond aux conditions de déductibilité des intérêts énoncées aux alinéas 20(1)c) ou d) de la Loi, dont nous avons parlé précédemment), les intérêts sur l’avance peuvent être déductibles.
Si les intérêts sur l’avance sur contrat sont payés après 1977 et ne sont pas déductibles au titre des alinéas 20(1)c) ou d) de la Loi, ils seront considérés comme une « prime » au sens du paragraphe 148(9) de la Loi et ajoutés au CBR du contrat. Toutefois, si le titulaire déduit ces intérêts de son revenu, ils ne sont pas considérés comme une prime et ne sont pas ajoutés au CBR du contrat.
De même, si les intérêts sur l’avance sur contrat sont ajoutés au solde de l’avance (c.-à-d. capitalisés) et ne sont pas déductibles au titre des alinéas 20(1)c) ou d) de la Loi, ils sont considérés comme une prime et les intérêts capitalisés représentent alors une nouvelle avance sur contrat. Dans ce cas, le produit de disposition provenant de l’avance est réduit de la prime de sorte que le produit net de l’avance sur contrat égale zéro (sous-alinéa b)(i) de la définition de « produit de disposition » du paragraphe 148(9) de la Loi.) De plus, les intérêts capitalisés ne sont pas déduits du CBR du contrat (exclu aux termes de l’alinéa B de la définition de « coût de base rajusté » du paragraphe 148(9) de la Loi). En conséquence, lorsque les intérêts sont capitalisés et non déductibles, aucun rajustement net n’est apporté au CBR du contrat.
Cependant, lorsque les intérêts se capitalisent et sont déductibles pour le titulaire, le paiement des intérêts n’est pas considéré comme une prime et, en conséquence, aucune diminution n’est apportée au produit de disposition découlant de l’avance sur contrat. Le CBR du contrat sera donc diminué du produit. Si le produit excède le CBR du contrat, il en résultera un gain sur contrat imposable qui sera ajouté au CBR du contrat.
Pour avoir droit à la déduction des intérêts sur l’avance sur contrat, le titulaire du contrat doit obtenir de l’assureur le formulaire T2210, Attestation de l'intérêt sur une avance sur police par l'assureur, dûment rempli et joindre ce formulaire à sa déclaration de revenus. Le formulaire atteste que les intérêts ont été payés au cours de l’année et que les intérêts sur l’avance sur contrat n’ont pas été ajoutés au CBR du contrat à titre de paiement de prime. À noter que le formulaire T2210 doit être envoyé au plus tard le dernier jour auquel le contribuable est tenu de déposer sa déclaration de revenus pour l’année d’imposition au titre de laquelle les intérêts ont été payés. En conséquence, la compagnie d’assurance vie devrait être informée de la nécessité de produire un formulaire T2210 bien avant la date à laquelle la déclaration de revenus du particulier doit être présentée.
Pour en savoir davantage sur l’imposition des avances sur contrat, reportez-vous au bulletin Actualité fiscale intitulé « Imposition des participations et des avances sur police d'assurance vie ».
Règles spéciales au Québec
Au Québec, il y a un test additionnel afférent aux frais de placement qui peut limiter la déduction des intérêts. Le Budget de 2004 a introduit des règles (entrées en vigueur le 30 mars 2004) qui limitent la déductibilité des frais de placement au revenu de placement tiré durant l’année de placements passifs dans des biens. Ces règles ne s’appliquent qu’aux particuliers et fiducies. Des dispositions de report (rétrospectif jusqu’à trois ans, prospectif sans limite) permettent de déduire pour d’autres années des frais de placement non déduits. Le revenu de placement comprend notamment les dividendes imposables, intérêts, redevances, gains en capital imposables, revenus de placements étrangers et gains sur contrat d’assurance vie. Les biens locatifs sont exclus des règles. Les frais de placement sont les dépenses engagées pour tirer un revenu d’un bien (autre qu’un revenu locatif), y compris les frais d’administration ou de gestion des placements, frais de garde d’actions ou de titres, frais payés à des conseillers en placement, intérêts sur les sommes empruntées pour acheter des obligations, des actions ou des fonds communs, et certaines pertes de sociétés de personnes.
Déductibilité des intérêts et règle générale anti-évitement
Jusqu’ici, nous avons parlé de la déductibilité des intérêts en tenant compte des exigences énoncées à l’alinéa 20(1)c) de la Loi et des positions administratives énoncées dans le folio S3-F6-C1. Même si un contribuable a structuré ses affaires de façon à satisfaire aux exigences énoncées dans cette disposition, l’ARC pourrait quand même appliquer la règle générale anti-évitement (« RGAÉ ») à une série d’opérations effectuées dans le but de bénéficier des déductions d’intérêts.
L’ARC a tenté d’invoquer la RGAÉ pour contester la déductibilité des intérêts dans un jugement de la CSC, soit Lipson c. Canada, 2009 CSC 1 (« Lipson »).
Dans cette affaire, un mari et sa femme, M. et Mme Lipson, avaient effectué une série d’opérations dans le but de rendre déductibles les intérêts sur leur emprunt hypothécaire. Résumons les faits : Mme Lipson avait contracté un prêt remboursable à vue pour acheter les actions de la société de M. Lipson; ce dernier avait utilisé le produit de la vente de ses actions pour acheter une maison; M. et Mme Lipson avaient alors hypothéqué la maison pour rembourser l’emprunt initial. Étant donné que le prêt hypothécaire a servi à financer l'achat des actions en remplacement du prêt à vue, les intérêts afférents au prêt hypothécaire auraient normalement donné droit à une déduction aux termes du paragraphe 20(3) de la Loi. La vente des actions à Mme Lipson n’a donné lieu à aucun gain puisque la disposition de transfert en franchise d’impôt au conjoint (paragraphe 73(1) de la Loi) s’appliquait. À la suite du transfert libre d’impôt, la règle d’attribution du paragraphe 74.1(1) de la Loi s’est appliquée de sorte que le revenu (dividendes) et les dépenses (intérêts du prêt) liés au placement des actions ont été réattribués à M. Lipson. En conséquence, les frais d’intérêts ont été déclarés à titre de déduction fiscale par M. Lipson plutôt que par Mme Lipson.
La CCI a jugé que la RGAÉ s'appliquait à la série des opérations effectuées, car celles-ci donnaient lieu à un abus dans l’application des dispositions de la Loi. Selon le juge de première instance, l’argent ayant été emprunté dans le but d'acquérir en définitive un immeuble résidentiel, les intérêts sur l’emprunt ne devraient pas être déductibles. Les Lipson ont interjeté appel auprès de la Cour d’appel fédérale. Celle-ci a donné raison au juge de première instance qui avait affirmé que « ces opérations faisaient partie d’une série, dont l’objet était de rendre déductibles les intérêts payables sur l’hypothèque ». La Cour a donc rejeté en bloc la déduction des intérêts.
En octobre 2007, la CSC avait autorisé la demande d'interjeter appel dans l'affaire Lipson et la cause fut entendue en avril 2008. Le 8 janvier 2009, la CSC a rendu sa décision. Dans une décision partagée, soit avec une faible majorité de 4 juges contre 3, la CSC a conclu que la « RGAÉ » s'appliquait à la série d'opérations effectuées par M. et Mme Lipson. Cependant, son raisonnement différait nettement de celui des tribunaux inférieurs.
La RGAÉ s’applique si une opération répond aux critères suivants :
- Elle donne lieu à un avantage fiscal (réduction, évitement ou report d’impôt).
- Il s’agit d’une opération d’évitement (c.-à-d. que l’opération n’a aucune fin fiscale véritable et qu’elle a été effectuée dans le but d’éviter de payer de l’impôt).
- Elle entraîne un abus d’une disposition de la Loi ou un abus dans l’application de la Loi lue dans son ensemble.
En appliquant cette analyse à la cause Lipson, les deux parties ont reconnu que les opérations visées répondaient aux deux premiers critères.
Quant au troisième critère, la majorité des juges ont conclu que le ministre n’avait pas établi l’existence d’un abus quant à l’alinéa 20(1)c) (déductibilité des intérêts) et quant au paragraphe 20(3) (usage de l’argent emprunté) de la Loi eu égard à leur objet, mais qu’il y avait eu abus dans le cas des règles d’attribution applicables aux conjoints. Plus précisément :
M. Lipson a vendu ses actions à son épouse, puis il a utilisé le produit de la vente pour acheter leur résidence […]. Ainsi, Mme Lipson a financé par emprunt l’achat de biens productifs de revenus, alors que M. Lipson a financé par actions l’achat de la résidence. Jusque-là, les opérations étaient inattaquables. Elles sont devenues problématiques lorsque les parties ont effectué les autres opérations de la série. M. Lipson et son épouse ont en effet eu recours aux paragraphes 73(1) et 74.1(1) pour atteindre l’objectif sous-tendant la série d’opérations, à savoir que M. Lipson déduise de son propre revenu les intérêts que Mme Lipson pouvait déduire du sien, ce qui était contraire à l’objet du paragraphe 74.1(1).
En conséquence, la demande de déduction des intérêts faite par M. Lipson a été refusée. Fait intéressant, le revenu de dividende était toujours inclus dans le revenu de M. Lipson, et Mme Lipson a pu demander la déduction des intérêts pour son propre compte. Le fait d’avoir accordé la déduction à Mme Lipson contraste nettement avec le refus des tribunaux inférieurs d’accorder la déduction des intérêts dans son ensemble.
Quelques observations peuvent être faites en ce qui a trait à la décision Lipson. Premièrement, la CSC a rejeté « l’objet global » pris en compte par les tribunaux inférieurs et a indiqué qu’elle considérait qu’il n’y avait pas eu abus des dispositions relatives à la déduction des intérêts (alinéa 20(1)c) et paragraphe 20(3) de la Loi). Cela semble indiquer que la Cour était d’accord sur le fait que les conjoints pouvaient structurer leurs affaires de façon à obtenir la déductibilité des intérêts, comme dans l’arrêt Singleton. Cependant, la Cour a conclu que M. Lipson (et non Mme Lipson) a eu recours abusivement aux règles d’attribution pour demander la déduction des intérêts. Dans son interprétation technique no 2009-0327071C6, l’ARC a précisé que dans une situation semblable à celle de l’affaire Lipson, si le contribuable choisit de transférer ses actions à sa conjointe à leur juste valeur marchande et de recevoir cette valeur, la conjointe peut déduire les intérêts sur les sommes empruntées et utilisées pour acquérir les actions, pourvu que toutes les conditions énoncées à l’alinéa 20(1)c) de la Loi soient remplies.
Deuxièmement, cette décision peut avoir peu d’effet en tant que précédent dans des causes futures pour plusieurs raisons : tout d’abord, la décision était partagée – quatre juges constituaient la majorité, comme nous l’avons déjà dit. Deux juges étaient dissidents sur la question selon laquelle les règles d’attribution étaient abusives et un juge était d’avis que la RGAÉ ne s’appliquait pas, car une règle anti‑évitement particulière l’emportait sur la règle générale. De plus, deux juges étant absents; par conséquent, il ne restait que sept juges sur neuf. Enfin, les fiscalistes en général estiment que la décision rendue par la majorité des juges explique en partie leurs conclusions, mais ne renferme aucune analyse de fond à l’appui des conclusions.
Troisièmement, la cause Lipson n’a pas permis de faire une analyse permettant d’avoir une plus grande certitude quant à l’application de la RGAÉ à l’avenir. Comme nous l’avons déjà mentionné, les trois décisions (celle de la majorité et les deux décisions dissidentes) ont abouti à la conclusion que les mesures prises pour permettre à Mme Lipson de bénéficier de l’avantage fiscal que confère l’alinéa 20(1)c) de la Loi, à savoir le droit de déduire les intérêts du prêt hypothécaire de son revenu imposable, ne constituaient pas en soi un abus de la Loi et que la RGAÉ ne devrait pas s’appliquer aux opérations de type Singleton. Toutefois, en raison de la dissension de certains juges et en l’absence d’une analyse claire, on peut s’attendre à ce que cette décision ouvre la voie à l’ARC qui pourrait alors tenter d’appliquer la RGAÉ si d’autres dispositions étaient utilisées conjointement avec des déductions d’intérêts. Il faut donc faire preuve de prudence lorsque l’on fait appel à une série d’opérations qui s’avère plus « complexe » que le simple fait de structurer ses affaires de façon à satisfaire aux exigences de l’utilisation directe, selon l’alinéa 20(1)c) de la Loi.
Planification
Il est souhaitable d'emprunter de manière à optimiser le montant des intérêts déductibles. Les fonds servant à produire un revenu devraient être empruntés de façon à ce que les intérêts soient déductibles. Les fonds utilisés à des fins non productives de revenus devraient être payés au moyen de liquidités disponibles. Celles-ci doivent en effet d'abord servir au remboursement des emprunts à intérêts non déductibles. On doit veiller à maintenir le lien entre l'emprunt et l'affectation des fonds empruntés.
Lorsqu'un particulier souscrit un contrat d'assurance et, par la suite, donne la valeur de rachat du contrat en garantie d'un emprunt, les intérêts sur les fonds empruntés peuvent être déductibles si les critères exposés précédemment sont remplis. Cependant, les intérêts composés ne seront déductibles que s'ils sont payés. Si les intérêts sont capitalisés, les intérêts composés ne seront considérés comme payés que dans l'année où le capital-décès est reçu et affecté au remboursement de l'emprunt. Une façon d'assurer la déductibilité annuelle des intérêts composés est de contracter un nouvel emprunt chaque année pour la composante intérêts. Les placements qui produisent un revenu pourraient alors être vendus et le produit de la vente pourrait servir à payer les intérêts sur l'emprunt initial. Un nouvel emprunt du même montant est contracté et les placements vendus précédemment sont rachetés en utilisant les fonds empruntés (en veillant à ce qu’aucune perte apparente ne soit créée). Comme le nouvel emprunt sert à acquérir un bien productif de revenus, les intérêts de l'emprunt seront déductibles. Les mêmes étapes s'appliqueront à l’intérêt composé. En conséquence, obtenir une déduction pour ce qui autrement serait un « intérêt composé » nécessite une planification minutieuse et approfondie.
Cependant, il est à noter que l’ARC a semé la confusion avec ses récentes interprétations (voir la section « Intérêts composés »). Dans le cas d’une assurance vie financée par un emprunt, si l’on présume que les intérêts sont déductibles et que le but recherché est de « capitaliser » les intérêts, ce commentaire semble plutôt simplifié; en effet, on pourrait penser qu’il suffit de contracter un nouveau prêt chaque année pour payer les intérêts pour que les intérêts de chaque prêt soient déductibles. Comme les interprétations de l’ARC n’ont pas force de loi et compte tenu du commentaire de l’ARC concernant l’application de la RGAÉ dans une situation où une série d’opérations est effectuée dans le seul but de bénéficier d’une déduction des intérêts (interprétation technique no 2006-0188621E5), il peut être risqué de se fier à un tel commentaire.
Conclusion
En général, les intérêts sur des fonds empruntés sont déductibles dans la mesure où ces fonds servent à produire un revenu. Avant de tirer une conclusion sur la déductibilité des intérêts, il serait avisé de consulter un fiscaliste afin d’examiner la situation particulière à la lumière de la loi actuelle, des commentaires de l’ARC et de la jurisprudence.
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