Bâtir de meilleurs régimes de retraite grâce à l'investissement guidé par le passif

Serge Lapierre, FICA, FSA,
Chef mondial, Investissements guidés par le passif (IGP), Ingénierie financière et Recherche quantitative, équipe Solutions multiactifs, Gestion de placements Manuvie
Gestion de placements Manuvie

Frédéric Kibrité, FICA, FSA, CFA, FRM,
Gestionnaire de portefeuille et chef, stratégie des placements – IGP, équipe Solutions multiactifs, Gestion de placements Manuvie
Gestion de placements Manuvie

L’équipe d’investissements guidés par le passif de Gestion de placements Manuvie a confié à la Bayes Business School la construction d’un modèle fondé sur les recherches universitaires les plus récentes afin de nous aider à démontrer les éventuels avantages d’une approche d’IGP en plusieurs volets pour la gestion de régimes de retraite. Le résultat de ce modèle constitue le fondement du présent rapport.

Points à retenir

  • Une approche universelle ne suffit pas, selon nous, pour relever les défis sans précédent auxquels les régimes de retraite font face aujourd’hui.
  • Pour rédiger ce document, nous avons fait appel à une école de commerce renommée à laquelle nous avons confié l’établissement d’un régime de retraite modèle. En utilisant une technologie de simulation et de modélisation de pointe, nous avons fait ressortir les avantages évidents de l’investissement guidé par le passif (IGP) comme moyen d’améliorer les résultats des régimes de retraite.
  • À notre avis, les résultats de simulation montrent que l’intégration de la concordance des durées par taux clés, l’ajout d’actifs « plus » et l’adoption d’une stratégie dynamique de réduction des risques nous permettent non seulement d’atténuer avec le temps la volatilité de la situation de capitalisation d’un régime, mais aussi de faire croître la probabilité que le régime atteigne la pleine capitalisation.

Depuis la crise financière mondiale, les régimes de retraite se tournent de plus en plus vers une approche d’IGP afin d’assurer la gestion des risques. Le versement intégral et ponctuel des rentes aux participants d’un régime requiert une stratégie de placement aussi solide que possible.

En quoi l’investissement guidé par le passif se distingue-t-il?

L’IGP est une stratégie globale de placement qui s’applique tant à l’actif qu’au passif d’un régime. L’IGP tient compte du fait que, si le but d’un régime de retraite est d’effectuer tous les versements de prestations dans leur intégralité et à temps, l’efficacité de toute stratégie de placement devrait être évaluée contre ce seul et unique critère, d’où cette conclusion simple : le baromètre d’un régime de retraite devrait être son propre passif plutôt qu’un indice ou une série d’indices des marchés financiers. Selon cette approche, toutes les décisions de placement et, surtout, toutes les décisions liées à la gestion des risques devraient s’appuyer résolument sur le profil des passifs du régime plutôt que sur les indices de marché. Concevoir une stratégie de placement qui accorde peu d’importance, ou n’accorde aucune importance, à la structure et à la nature des passifs d’un régime s’apparenterait au travail d’un cordonnier fabriquant une paire de souliers d’une facture très élaborée pour un client dont il n’aurait pas au préalable mesuré les pieds.

Vu sous cet angle, le passif d’un régime représente un actif négatif. Cet actif négatif présente des caractéristiques de risque semblables à celles d’un portefeuille d’obligations puisque le passif comprend des versements fixes (dont certains sont liés à l’inflation) étalés dans le temps. Par conséquent, ce passif peut être évalué de la même manière qu’un portefeuille de titres à revenu fixe composé d’obligations gouvernementales et de sociétés. De plus, la valeur de ce passif sera exposée aux mêmes risques économiques intrinsèques qu’un portefeuille d’obligations : sa valeur diminuera lorsque les taux d’intérêt augmentent et augmentera lorsque ces derniers diminuent. Enfin, la valeur du passif augmentera lorsque la hausse de l’inflation est plus élevée que prévu et diminuera lorsque l’inflation réalisée baisse.

On dit généralement de ces risques qu’ils ne sont pas récompensés. Si nous faisons l’hypothèse que les taux d’intérêt et les taux d’inflation ont tendance à revenir à la moyenne avec le temps, la situation financière du régime sera exposée à la volatilité des taux d’intérêt et de l’inflation, mais la prise de ces risques ne générera aucun gain à long terme. Cela contraste avec les risques liés aux autres placements tels que les actions. Certes, les cours des actions fluctuent avec le temps, mais on peut supposer que le fait de détenir des actions s’accompagne d’une prime de risque positive à long terme, qui rémunère les investisseurs.

Si les risques liés aux taux d’intérêt et à l’inflation ne sont pas récompensés, à quoi bon les prendre?

Une stratégie d’IGP comporte habituellement deux principaux éléments. Le premier consiste à couvrir autant que possible, ou dans la mesure où cela est abordable, les risques non récompensés liés au passif du régime. Pour ce faire, on peut construire un portefeuille d’obligations et y ajouter des produits dérivés, par exemple des swaps, dont les caractéristiques de risque s’apparentent à celles du passif. Lorsque les risques sont parfaitement couverts (ce qui n’est pas toujours réalisable), toute augmentation de la valeur du passif sera appariée à une augmentation de valeur compensatoire dans le portefeuille des titres à revenu fixe. Le régime peut ainsi se rapprocher de la panacée en matière de gestion des risques.

Cependant, si un régime est déficitaire – ce qui se produit lorsque la valeur de l’actif est inférieure à celle du passif – la construction d’un portefeuille de titres à revenu fixe qui reproduit les variations de valeur du passif ne peut, en soi, être suffisante pour compenser le déficit. C’est là que la construction d’un bon portefeuille d’actifs axés sur le rendement intervient en tant que deuxième élément clé d’une stratégie d’IGP. Les actifs axés sur le rendement sont censés s’apprécier avec le temps, comblant l’écart entre la valeur de l’actif et celle du passif, aidant les fonds à être suffisants pour honorer tous les versements de rente prévus.

Une approche de rechange à l’investissement guidé par le passif

Les titres faisant traditionnellement partie de la catégorie des actifs de croissance consistent en actions de sociétés cotées en bourse, mais la valeur des actifs de cette catégorie peut s’effondrer. De plus, en situation de crise, il y a généralement une corrélation négative entre les actions et les titres du Trésor : le passif risque d’augmenter en proportion de la diminution des actions, ce qui aggrave le problème.

C’est pourquoi certains régimes de retraite remédient à ce problème de deux façons complémentaires, qui cadrent avec la philosophie de l’IGP. Premièrement, les régimes peuvent diversifier leur portefeuille de croissance en puisant dans un éventail plus étendu de catégories d’actif. Deuxièmement, ils peuvent investir dans des actifs de croissance tels que les infrastructures, l’immobilier commercial, les actifs forestiers et les actifs agricoles, qui procurent habituellement une rémunération à long terme. Ces catégories d’actifs, qui sont généralement désignées dans le secteur de la gestion d’actifs sous le nom d’actifs privés, d’actifs réels ou de placements alternatifs, représentent ce qu’on appelle des actifs « plus » dans le cas des portefeuilles d’IGP parce qu’ils peuvent, estime-t-on, offrir des avantages supplémentaires du point de vue de l’appariement des passifs, ce qui rehausse la diversification d’un portefeuille multiactifs et peut donner lieu à une prime de liquidité. Selon nous, l’ajout d’actifs « plus » dans un portefeuille peut contribuer à compenser un déficit au fil du temps et à réduire la volatilité du passif d’un régime. L’IGP consiste pour l’essentiel à orienter le portefeuille de titres à revenu fixe et le portefeuille de croissance vers le passif du régime, ce dernier faisant office de baromètre pour ces actifs.

Mise à l’épreuve de notre théorie

Afin de nous aider à démontrer les avantages d’une approche d’IGP en plusieurs volets pour la gestion de régimes de retraite et afin d’évaluer la mesure dans laquelle l’IGP peut faire croître la probabilité d’honorer intégralement et ponctuellement tous les versements de rente prévus, nous avons confié à Andrew Clare, professeur à la Bayes Business School1, la construction d’un modèle fondé sur les recherches universitaires les plus récentes. Les résultats de ce modèle constituent le fondement du présent rapport2.

Voici les constatations de cette recherche :

  • Une stratégie de concordance des durées par taux clés produit de meilleurs résultats du point de vue de la gestion des risques que les placements dans un portefeuille d’obligations traditionnel.
  • Une stratégie de placement qui dépend trop du rendement des marchés boursiers, toutes choses étant par ailleurs égales, présente une forte probabilité d’échec.
  • L’ajout d’actifs « plus » dans un portefeuille de croissance nécessite sans doute une approche plus dynamique, que permet un simple rééquilibrage annuel.
  • Une approche dynamique de la répartition de l’actif, qui allie une stratégie de concordance des durées par taux clés et une répartition en actifs « plus », peut faire croître la probabilité d’atteindre un large éventail d’objectifs de capitalisation.

Notre régime de retraite modèle

Pour démontrer comment l’adoption d’une approche d’IGP pour la gestion de l’actif d’un régime de retraite peut contribuer à réduire les risques auxquels un régime type est exposé, nous avons conçu un modèle. Nous soumettrons ce régime de retraite modèle à des simulations pour évaluer l’incidence de différentes stratégies sur sa santé financière.3

Notre régime de retraite honore les engagements indiqués à la figure 1.

Figure 1 : Le profil du passif du régime représentatif

Sources : Bayes Business School, Gestion de placements Manuvie, 2021. À titre indicatif seulement.

Les engagements de ce régime culmineront dans environ 20 ans et le dernier flux de trésorerie interviendra dans 80 ans. La première année, les flux monétaires s’établiront à 16,25 M$, soit 2,71 % du passif total4. Bien que les avantages de l’IGP puissent être réalisés indépendamment de la situation du régime, nous avons fixé la durée des engagements de notre régime à un peu plus de 17 ans5. Cela signifie qu’une baisse d’un point de pourcentage du taux d’actualisation des engagements ferait grimper la valeur du passif d’environ 17 points de pourcentage. La valeur du passif au début des simulations s’établit invariablement à 600 M$. Cette valeur a été calculée en fonction des données de la courbe des taux d’actualisation des régimes de retraite FTSE (FTSE Pension Discount Curve)6. Enfin, par souci de simplicité, nous faisons l’hypothèse que le régime est fermé tant pour les nouveaux participants que pour l’accumulation de cotisations futures.

Couverture

Nous pouvons utiliser le profil des passifs indiqué à la figure 1 pour illustrer différentes approches de couverture des risques inhérents au passif. Pour ce faire, nous supposons que la structure du portefeuille d’obligations présente la même valeur (la valeur actuelle) que le passif au début de la période de simulation de dix ans. En ayant recours aux techniques de Monte Carlo, nous simulons ensuite 10 000 trajectoires pour les placements en obligations et le passif pendant cette période2.

Pour déterminer les avantages et les inconvénients des différentes approches de couverture du passif du régime, nous examinons le rendement de trois portefeuilles d’obligations, le passif étant toujours actualisé en fonction de la courbe des taux d’actualisation des régimes de retraite FTSE. De plus, par souci de simplicité, nous supposons dans ces simulations que la valeur des placements en obligations, quelle que soit leur composition, est appariée à la valeur du passif au début de la période de simulation de dix ans.

Les portefeuilles d’obligations sont représentés comme suit :

  • Indice de marché — L’indice obligataire Bloomberg Barclays U.S. Aggregate (Agg)
  • Concordance des durées par taux clés avec la répartition en titres de créance – Portefeuille composé à 50 % de titres du Trésor et à 50 % d’obligations comprises dans la courbe des taux d’actualisation des régimes de retraite FTSE (dur. tx clé – 50/50)
  • Concordance des durées par taux clés sans appariement aux titres de créance – Portefeuille composé à 100 % d’obligations comprises dans la courbe des taux d’actualisation des régimes de retraite FTSE (dur. tx clé – 100)

Au fur et à mesure que nous progressons dans l’examen des stratégies indiquées précédemment, la stratégie de concordance gagne en précision. Cependant, quelle sera son incidence sur la situation de capitalisation du régime dans dix ans? Pour répondre à cette question, nous simulons 10 000 fois les trajectoires du passif et de l’actif décrites précédemment dans chaque cas. Cela nous permet d’évaluer les conséquences de chaque stratégie de couverture. Pour simuler chaque stratégie, nous avons utilisé les données mensuelles portant sur toutes les principales variables financières allant de 2008 à 20197.

Figure 2 : Couverture du passif

Sources : Bayes Business School, Gestion de placements Manuvie, 2021. À titre indicatif seulement.

Les résultats illustrés à la figure 2 résument les simulations2. Les barres vertes représentent le 5e percentile de la distribution des ratios de capitalisation; 95 % des ratios de capitalisation après dix ans ont été supérieurs à cette valeur. Comme prévu, les chiffres montrent que la stratégie la moins avantageuse est la première (Agg) : selon cette stratégie, la valeur au 5percentile s’établit à 66 %, ce qui signifie que 5 % de tous les résultats ont été inférieurs à cette valeur. En ce qui concerne les stratégies de concordance des durées par taux clés 50/50 et de concordance des durées par taux clés 100, nous constatons que la distribution des résultats est très étroite; par exemple, dans la seconde stratégie, la valeur au 5e percentile s’élève à 97,6 %.

En résumé, ces résultats démontrent que les stratégies de concordance des durées par taux clés produisent de meilleurs résultats en matière de gestion des risques que les placements dans un portefeuille d’obligations traditionnel.

Le portefeuille de croissance

Ayant démontré les résultats obtenus selon les différentes approches de couverture du passif, nous allons maintenant nous tourner vers le portefeuille de croissance. Ce portefeuille vise essentiellement à générer les rendements nécessaires pour compenser le déficit du régime lorsqu’il est sous-provisionné. Dans la prochaine série de simulations, nous faisons donc l’hypothèse que le régime de retraite modèle amorce la période de simulation de dix ans en présentant un niveau de capitalisation de 85 %. En utilisant de nouveau les données comprises entre 2008 et 2019, nous examinons le rendement de portefeuilles d’actions et d’obligations combinés. De plus, nous ajoutons le promoteur de régime dans les simulations. L’un des principaux atouts d’un régime de retraite est l’appui financier du promoteur. C’est pourquoi nous supposons que le promoteur verse une somme fixe de 12 M$ dans le régime pendant les sept premières années de la période de simulation. Cet apport équivaut à 13 % du déficit du régime au début des simulations.

Nous combinons le passif indiqué à la figure 1 avec trois portefeuilles d’obligations alternatifs; la répartition en actions se chiffre toujours à 60 %. De plus, nous supposons que le régime rééquilibre son portefeuille d’actifs selon une répartition en actions de 60 % et en obligations de 40 % à la fin de chaque année de la simulation. Les trois portefeuilles d’obligations alternatifs sont représentés comme suit :

  • Affectation d’une part de 40 % à un portefeuille d’obligations – Représenté par l’indice Agg (40 %, Agg)
  • Affectation d’une part de 20 % à un portefeuille d’obligations – Représenté par l’indice Bloomberg Barclays U.S. Treasury et affectation d’une part de 20 % à un portefeuille représenté par les obligations comprises dans la courbe des taux d’actualisation des régimes de retraite FTSE (40 %, concordance à la durée). Ce portefeuille d’obligations a été structuré dans une optique de concordance à la durée des engagements.
  • Affectation d’une part de 20 % à un portefeuille d’obligations – Représenté par l’indice Bloomberg Barclays U.S. Treasury et affectation d’une part de 20 % à un portefeuille représenté par les obligations comprises dans la courbe des taux d’actualisation des régimes de retraite FTSE (40 %, concordance des durées par taux clés). Ce portefeuille d’obligations a été structuré de manière à être apparié à la durée des engagements à des intervalles de cinq ans, c’est-à-dire qu’il s’agit d’un portefeuille en concordance des durées par taux clés.

Les résultats de ces simulations sont indiqués dans les diagrammes A et B de la figure 3. Dans le diagramme A, nous indiquons de nouveau la valeur au 5e percentile de la distribution des ratios de capitalisation après dix ans. Les résultats présentent un contraste marqué avec ceux de la figure 2, où le ratio de capitalisation initial était de 100 %; ici, les valeurs aux 5es percentiles de chacune des stratégies frôlent maintenant 50 % pour les trois stratégies. En d'autres mots, dans plus de 5 % de nos simulations, le ratio de capitalisation n’a atteint tout au plus que 50 %. Ces résultats montrent que, même si les stratégies de couverture, tant la concordance des durées que la concordance des durées par taux clés, produisent des ratios de capitalisation supérieurs à ceux de placements dans un portefeuille d’obligations traditionnel (représenté ici par l’indice Agg), la volatilité des actions penche plus lourd dans la balance que les avantages liés aux stratégies de couverture.

Le diagramme B propose un autre angle d’interprétation des résultats, indiquant la proportion du temps pendant laquelle le taux de capitalisation du régime modèle est supérieur à 110 %. Dans la pratique, il est improbable qu’un régime qui enregistre, disons, un taux de capitalisation de 110 % après quatre ans continue de prendre des risques de placement le reste du temps. Le diagramme montre qu’à partir de l’année 5, les stratégies de concordance permettent d’atteindre ce seuil plus fréquemment que les placements dans un portefeuille d’obligations traditionnel. Cependant, en raison de l’exposition aux actions, la probabilité d’atteindre ce niveau de capitalisation (ou de le dépasser) est relativement faible, étant inférieure à 40 % après dix ans dans les trois stratégies.

Figure 3 : Le portefeuille de croissance, actions et obligations

Diagramme A : Ratio de capitalisation aux 5es percentiles

Diagramme B : Taux de capitalisation > 110 % après dix ans

Sources : Bayes Business School, Gestion de placements Manuvie, 2021. À titre indicatif seulement.

En résumé, une stratégie de placement qui dépend trop du rendement des marchés des actions, toutes choses étant par ailleurs égales, donnera probablement lieu à une volatilité plus grande de la capitalisation.

Ajout d’actifs « plus »

Jusqu’à maintenant, les simulations ont démontré qu’une approche de couverture des engagements par concordance des durées par taux clés produisait d’excellents résultats en matière de gestion des risques et que la dépendance aux actions pour compenser le déficit, même combinée à une stratégie de couverture et à l’appui financier du promoteur de régime, risquait d’entraîner la sous-capitalisation du régime après dix ans. Nous allons maintenant ajouter des actifs « plus » dans le portefeuille.

Si le portefeuille est diversifié entre plusieurs catégories d’actifs, le choc que subirait l’une des composantes, par exemple les placements en actions, pourrait avoir un impact moins prononcé si les autres catégories d’actifs axés sur le rendement étaient imparfaitement corrélées au rendement du marché boursier. Tel est l’avantage de la diversification. Les placements dans des catégories d’actifs réels comme les infrastructures, l’immobilier commercial, les actifs forestiers et les actifs agricoles – que nous désignons sous le nom d’actifs « plus » dans le cas des portefeuilles d’IGP – pour diversifier un portefeuille offrent l’avantage supplémentaire d’harmoniser davantage les caractéristiques liées au risque du portefeuille de croissance avec celles des engagements. En acquérant des actifs « plus », les régimes de retraite font en somme d’une pierre deux coups. D’une part, ils construisent un portefeuille de croissance plus solide et, d’autre part, ils restent fidèles à la philosophie de l’investissement guidé par le passif, qui consiste à aligner les risques inhérents aux éléments d’actif de leur bilan sur ceux des éléments de passif.

Pour évaluer l’intérêt d’intégrer des actifs « plus » dans le portefeuille de croissance, le régime peut aussi affecter ses fonds aux actifs réels ci-dessous, qui sont représentés par les indices de rendement total des marchés financiers correspondants :

  • Immobilier – États-Unis – L’indice immobilier mondial FTSE EPRA/NAREIT
  • Infrastructures mondiales — L’indice FTSE Global Core Infrastructure
  • Actifs forestiers mondiaux — L’indice S&P Global Timber and Forestry
  • Actifs agricoles mondiaux — L’indice NASDAQ OMX Global Agriculture

Ces catégories d’actif présentent notamment l’inconvénient d’être généralement moins liquides que les titres négociés en bourse, ce qui ne constitue un véritable inconvénient que pour les investisseurs qui tiennent à ce que leurs placements soient très liquides. Pour des investisseurs tels que des régimes de retraite, dont les engagements financiers portent sur une très longue période, l’illiquidité représente plus une occasion à saisir qu’un inconvénient à éviter. En effet, les investisseurs qui optent pour ces catégories d’actifs peuvent s’attendre à recevoir une prime de liquidité, c’est-à-dire un rendement bonifié, pour compenser l’illiquidité.

Il est toutefois important de tenir compte dans la modélisation du fait qu’investir dans une catégorie d’actif plus illiquide ou se départir d’actifs plus illiquides peut occasionner des coûts d’opération plus élevés que, disons, l’acquisition et la liquidation d’actions cotées en bourse2. Pour remédier à ce problème bien réel, nous imposons un coût d’opération de 7,5 %, qui s’applique à tout rachat d’un placement de la catégorie des actifs plus. Par exemple, si le placement était évalué à 100 M$, la vente de titres de cette catégorie d’actif de la même valeur ne représenterait que 92,5 M$ pour le régime.

Pour que nous puissions évaluer le rôle que les actifs « plus » peuvent jouer pour combler le déficit de provisionnement, le régime modèle amorce de nouveau la simulation échelonnée sur dix ans avec un taux de capitalisation de 85 %, mais le portefeuille du régime est représenté comme suit  :

  • Affectation d’une part de 40 % à un portefeuille d’actions, reproduisant l’indice S&P 500
  • Affectation d’une part de 40 % en proportions égales à un portefeuille de titres du Trésor et un portefeuille d’obligations comprises dans la courbe des taux d’actualisation des régimes de retraite FTSE, le portefeuille d’obligations étant structuré de manière à être apparié à la durée des engagements à des intervalles de cinq ans (concordance des durées par taux clés)
  • Affectation d’une part de 20 % à quatre catégories d’actifs « plus », soit l’immobilier, les infrastructures, les actifs forestiers et les actifs agricoles (à raison de 5 % chacune)

Figure 4 : Ajout d'actifs « plus »

Diagramme A : Ratio de capitalisation aux 5es percentiles

Diagramme B : Taux de capitalisation > 110 % après dix ans

Sources : Bayes Business School, Gestion de placements Manuvie, 2021. À titre indicatif seulement.

Les diagrammes A et B de la figure 4 illustrent les résultats de la simulation. Dans le diagramme A, la valeur au 5e percentile produite par la stratégie intégrant des actifs plus est inférieure à celle que nous avons obtenue dans la simulation comparable excluant les actifs « plus ». La principale raison pour laquelle les actifs « plus » n’ont pas amélioré le résultat final dans le régime modèle est que le rééquilibrage du portefeuille a lieu à la fin de chaque année dans la simulation, ce qui, ajouté aux coûts d’opération vraisemblablement plus élevés, nuit au rendement du portefeuille de croissance.

Le diagramme B de la figure 4 illustre les probabilités d’atteindre un taux de capitalisation de 110 % sur l’horizon de projection de dix ans. Nous constatons que la probabilité est plus faible à tous les points pendant cette période lorsque des actifs « plus » sont ajoutés. Cela nous amène tout naturellement à tirer une autre conclusion importante : lorsqu’ils rééquilibrent des catégories d’actifs liquides comme les portefeuilles d’obligations gouvernementales et les portefeuilles d’actions, les investisseurs devraient se garder de gérer de la même manière les catégories d’actifs illiquides; ils doivent plutôt adopter une approche dynamique, plus stratégique. En utilisant des méthodes de simulation de pointe, nous examinerons de près ce problème un peu plus loin.

En résumé, nous pouvons dire que l’intégration d’actifs « plus » dans le portefeuille de croissance nécessite une approche plus dynamique de la gestion des actifs axés sur le rendement qu’un simple rééquilibrage annuel.

Réduction dynamique des risques et recours à un administrateur de régime virtuel

Jusqu’à maintenant, nous avons simulé des résultats en l’absence de toute intervention de ce que nous pourrions appeler un « administrateur de régime virtuel » de l’actif et du passif du régime. Nous allons maintenant aborder la notion de prise de décisions dynamique. Pour ce faire, nous utiliserons une technique de simulation avant-gardiste, appelée « programmation stochastique multi-étapes » 3, qui est très répandue en recherche opérationnelle. Ce type de simulation se prête à l’utilisation de modèles des marchés financiers plus élaborés et de contraintes réalistes, par exemple les contraintes liées aux actifs, aux coûts d’opération et à la fiscalité, comparativement à des méthodes de simulation plus classiques. De plus, cela nous permet d’introduire des objectifs précis du régime pendant la période de simulation de dix ans; ces objectifs pourraient être considérés comme représentatifs d’une stratégie mise en œuvre par ses administrateurs2.

Les objectifs8 de ce modèle consistent en ce qui suit :

Objectif 1 — Nous supposons que l’horizon de projection du régime est de dix ans et que les administrateurs ou les promoteurs du régime souhaitent avoir les moyens de procéder au rachat à la fin de cette période.

Objectif 2 — Nous supposons que le régime souhaite maximiser le ratio de capitalisation pendant la période de projection de dix ans. Ainsi, les administrateurs du régime tenteront de faire en sorte que le ratio de capitalisation soit le plus élevé possible, compte tenu des autres contraintes.

Objectif 3 — Nous supposons que les administrateurs du régime souhaitent réduire le coût de rachat potentiel à l’expiration des dix années.

Ce sont des objectifs raisonnables pour tout régime de retraite dans la réalité. À l’aide de cet outil, nous pouvons, entre autres, optimiser la répartition de l’actif sur dix ans et évaluer la dispersion probable du ratio de capitalisation du régime modèle à la fin de la période. Nous pouvons aussi calculer le niveau de capitalisation médian du régime et la valeur au 5e percentile de la distribution des ratios de capitalisation à l’échéance des dix années, ce qu’illustre la figure 5. Notons par ailleurs que la contribution de l’entreprise est de nouveau fixée à 12 M$ pour chacune des sept premières années de la simulation et que nous utilisons le même coût de l’illiquidité à l’acquisition et à la liquidation des actifs « plus ».

Figure 5 : Dérisquage dynamique

Diagramme A : Ratio de capitalisation aux 5es percentiles

Diagramme B : Taux de capitalisation > 110 % après dix ans

Sources : Bayes Business School, Gestion de placements Manuvie, 2021. À titre indicatif seulement.

Les diagrammes A et B de la figure 5 indiquent les résultats de notre approche optimisée; ils rendent compte d’une amélioration radicale de la situation de capitalisation par rapport aux résultats de la simulation non dynamique équivalente et de l’intégration d’actifs « plus », dont les résultats sont inclus dans cette figure pour comparaison. Le diagramme A de la figure 5 montre que la valeur au 5percentile dépasse légèrement 60 % pour l’approche optimisée. Dans la pratique, évidemment, un régime présentant une très forte capitalisation serait vraisemblablement candidat au rachat; en d’autres termes, il serait improbable que le promoteur et les administrateurs du régime visent un ratio de capitalisation aussi ambitieux. Soulignons, car cela est plus important encore, que le diagramme B de la figure 5 indique la probabilité d’atteindre une capitalisation de 110 % tout au long de la période de projection. Cette figure montre qu’à l’année 5, le taux de probabilité que ce niveau soit atteint (ou dépassé) dépasse à peine 80 % tandis que le taux de probabilité qu’une situation de capitalisation de 110 % soit atteinte est proche de 100 % à la fin de la période. Ne nous laissons pas aveugler par ce résultat, si important soit-il. Ce régime a amorcé la période en présentant un taux de capitalisation de 85 % et a bénéficié d’un appui substantiel sous forme de contributions du promoteur de régime, mais les résultats montrent bel et bien l’effet positif combiné des actifs « plus », d’une stratégie de concordance des durées par taux clés et d’une approche dynamique du problème des régimes de retraite.

En ce qui concerne cette dernière approche, la figure 6 fait état de la répartition médiane de l’actif du régime modèle pendant dix ans; il s’agit, à notre avis, d’une répartition optimale de l’actif du régime9. Nous constatons une diminution de la répartition en actions pendant cette période, celle-ci tombant d’environ 45 % à 23 %. Quant aux répartitions en titres à revenu fixe (qui allient une stratégie de concordance des durées par taux clés et un portefeuille d’obligations plus traditionnel) et en actifs « plus », pendant les premières années de la période de projection, la répartition en actifs « plus » passe d’environ 5 % à 25 %, puis diminue graduellement à mesure que la période avance, tandis que la répartition en titres à revenu fixe se stabilise autour de 50 % de l’actif total pendant les quatre premières années, avant d’augmenter constamment pour atteindre 70 % en fin de période.

Figure 6 : Allocation d'actifs avec dérisquage dynamique

Sources : Bayes Business School, Gestion de placements Manuvie, 2021. À titre indicatif seulement.

En résumé, ces résultats montrent le rôle important et dynamique que peuvent jouer les actifs « plus » dans une trajectoire de réduction des risques des régimes de retraite qui cherchent à atteindre leurs objectifs de capitalisation.

Une approche sur mesure pour faire face à l’avenir

Nous vivons dans un monde incertain. Changements climatiques, pandémies, augmentation de l’espérance de vie et mutation possible de la nature même des marchés financiers… tous ces enjeux peuvent influer sur la capacité des régimes de retraite à devenir entièrement capitalisés au fil du temps. Plutôt que d’espérer que tout aille pour le mieux, les promoteurs de régime doivent entrevoir le pire scénario auquel ils sont en mesure de faire face. Ils doivent cerner les risques, déterminer si leur stratégie actuelle leur permettra à l’avenir de braver les incertitudes et se fonder sur ces données pour prendre des décisions stratégiques.

Une approche universelle ne suffit pas, selon nous, pour relever les défis sans précédent auxquels les régimes de retraite font face aujourd’hui. À l’heure actuelle, les régimes de retraite de toutes les tailles ont accès à des approches sur mesure faisant appel à une combinaison de fonds d’IGP conçus pour être appariés étroitement aux engagements et pour moduler leur exposition en fonction du risque de crédit.

Dans ce rapport, L’équipe d’investissements guidés par le passif de Gestion de placements Manuvie a élaboré un modèle de régime de retraite représentatif et, à l’aide d’une technologie ultraperfectionnée de simulation et de modélisation, nous avons fait ressortir les avantages évidents de l’IGP pour améliorer les résultats des régimes de retraite2. Les résultats de ces simulations font voir, qu’en structurant un portefeuille de titres à revenu fixe apparié à la durée à des points charnières du profil des engagements (appariement par la durée par taux clé), qu’en intégrant des actifs « plus » et qu'en adoptant une stratégie dynamique de réduction des risques, nous pouvons non seulement aider à atténuer la volatilité de la situation de capitalisation d’un régime au fil du temps, mais en plus faire croître la probabilité de parvenir à une situation de pleine capitalisation.

Ce document a été rédigé par Gestion de placements Manuvie en collaboration avec Andrew Clare, professeur à la Bayes Business School. L’école fait partie intégrante de la City, University of London. Elle est constamment classée parmi les meilleurs écoles et programmes de commerce du monde. La Bayes Business School est titulaire de la rare certification « triple couronne » de l’Association to Advance Collegiate Schools of Business (AACSB), de l’Association of MBAs (AMBA) et du European Quality Improvement System (EQUIS).

1 Anciennement appelée Cass Business School. 2 « Liability-Driven Investment for Pension Funds: Stochastic Optimization with Real Assets », https://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=3832434, 23 avril 2021. 3 Le modèle utilisé dans ces simulations a été structuré par la Bayes Business School et commandé par Gestion de placements Manuvie au 31 janvier 2021. 4 Les valeurs sont toutes exprimées en dollars américains. 5 Les résultats s’appliquent à différents niveaux de durée et ne dépendent pas des hypothèses utilisées ici. 6 Des renseignements détaillés sur ces données sont accessibles au https://www.soa.org/sections/retirement/ftse-pension-discount-curve/; de plus, des renseignements détaillés sur la manière dont le passif a été généré peuvent être consultés au https://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=3832434. 7 Pour de plus amples renseignements au sujet des données sous-jacentes, veuillez consulter https://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=3832434. 8 Pour obtenir de plus amples renseignements au sujet de la description de ces objectifs, veuillez consulter https://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=3832434. 9 Dans la simulation optimisée, nous ajoutons une contrainte à la répartition en actifs réels à partir de l’année 5 pour tenir compte du fait que, dans la réalité, un régime de retraite éviterait probablement de faire une trop grande place aux catégories d’actifs illiquides à l’étape où il envisagerait aussi un rachat. Les répartitions maximales en actifs « plus » pour les années 5, 6, 7, 8, 9 et 10 ont été fixées à 60 %, 50 %, 40 %, 30 %, 20 % et 10 %, respectivement.

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